Remplacer ses jeûnes de Ramadhân avec une double intention…

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Question : Ayant eu mes règles au cours du mois de Ramadhân, j’ai manqué quelques jours de jeûnes que je vais à présent remplacer au cours du mois de Chawwâl, Incha Allah. La question que j’aimerai vous poser est la suivante : Puis-je faire une double intention en remplaçant ces jeûnes ? En d’autres mots, en m’acquittant des jeûnes qadhâ (de remplacement) du Ramadhân, puis-je également faire l’intention d’accomplir les six jeûnes du mois de Chawwâl par la même occasion ?

Réponse : La question que vous soulevez là est liée à une problématique du droit musulman (en l’occurrence celle de la combinaison d’intentions différentes lors de l’accomplissement d’un acte unique – at tachrîk fi an niyah) qui a fait l’objet d’une analyse (quelque peu divergente) particulièrement détaillée de la part des oulémas hanafites et châféïtes. Voici une synthèse de leurs écrits sur le sujet :

Analyse des oulémas hanafites :

La règle diffère suivant que la nature des actes concernés :

–          relèvent des wassâïl, c’est-à-dire de rituels qui ne constituent pas des finalités en soi mais qui sont plutôt des intermédiaires permettant la réalisation d’autres ‘ibâdât (acte d’adoration). Exemple : le bain rituel –ghousl.

–          relèvent des maqâssid, c’est-à-dire de rituels qui constituent des finalités en soi. Exemple : la salât, le hadj, le jeûne, la zakât.

1) En ce qui concerne les wassâïl, il est possible de combiner l’intention de deux actes rituels au sein d’un action unique. Exemple : le jour de vendredi, une personne qui se trouve en état d’impureté majeure prend un bain; selon les oulémas hanafites, il lui est possible d’accomplir cet acte avec un double objectif, à savoir se purifier de l’état de djanâbah (impureté majeure) et obtenir le mérite et la récompense lié au ghousl (bain rituel) du vendredi.

2) En ce qui concerne les maqâssid, trois cas de figure peuvent être envisagés :

  1. a) les deux actes dont il désire combiner l’intention sont obligatoires (fardh)
  2. b) les deux actes ne sont pas obligatoires (nafl)
  3. c) l’un des deux seulement est obligatoire

Dans le premier cas (a)[1], si l’une des intentions porte sur un acte dont le caractère obligatoire est plus affirmé, c’est celui-ci qui sera considéré comme accompli.

Exemples :

– en accomplissant le sawm, une personne a simultanément l’intention de remplacer un jeune manqué et d’accomplir un jeûne de kaffârah (rachat consistant en soixante jeunes consécutifs et imposée à la suite d’une rupture délibérée et sans raison valable d’un jeûne du Ramadhân); dans ce cas, c’est le jeûne qadhâ qui sera considéré accompli, étant donné que son caractère obligatoire est plus affirmé que celui du jeûne du kaffârah (vu que ce dernier constitue un devoir complémentaire au qadhâ).

– en accomplissant une salât en début d’après-midi, quelqu’un fait simultanément l’intention d’accomplir la prière fardh de dhouhr et la salât de djanâzah (prière mortuaire); dans ce cas, c’est la salât fardh de dhouhr qui sera effective et accomplie (vu qu’elle constitue une obligation qui repose de façon individuelle sur chaque musulman (fardh ‘ayn), alors que la salât de djanâzah est un devoir dont l’accomplissement par certains suffit pour décharger la responsabilité du reste à son égard (fardh ‘ala al kifâyah)).

Dans le second cas (b), les deux actes seront considérés accomplis simultanément. Exemple : en arrivant à la mosquée pour la prière du matin, quelqu’un fait deux rak’âtes de salât en ayant en même temps l’intention d’accomplir les deux unités de prière sounnah qui précèdent la salât obligatoire de fadjr et deux unités de prière de salutation à la mosquée (tahiy-yat oul masdjid); ici, la personne concernée obtiendra (Incha Allah) le mérite des deux actes rituels.

Dans le troisième cas (c), selon l’Imâm Abou Youssouf (rahimahoullâh), seul l’acte obligatoire sera considéré accompli. Exemple (qui répond directement à votre question) : Quelqu’un accomplit un sawm en faisant simultanément l’intention de remplacer (qadhâ) un jeûne du mois de Ramadhân et d’accomplir un jeûne méritoire mais non imposé (comme par exemple l’un des six jeûnes recommandés du mois de Chawwâl); dans ce cas, c’est uniquement le jeûne qadhâ qui sera considéré accompli.

Avis des oulémas châféïtes :

Parmi les multiples cas de figure présentés par des savants de cette école d’interprétation (madh-hab), deux méritent d’être soulignés ici :

1) En accomplissant un acte, une personne a l’intention de réunir une action rituelle (ibâdah) et une action non rituelle. Exemple : quelqu’un prend un bain pour se purifier rituellement (ghoussl) mais aussi pour se rafraîchir. Selon l’avis qualifié par As Soyoûti (rahimahoullâh) comme étant le plus juste chez leschâféïtes, dans un tel cas, l’acte rituel sera considéré comme étant accompli (c’est-à-dire que la présence de la seconde intention n’a pas d’incidence sur la validité de l’acte).

2) En accomplissant un acte, une personne a l’intention d’accomplir un rituel obligatoire (mafroûdh) et un autre rituel non obligatoire (mandoûb) : il n’y a pas de règle unique qui puisse être appliquée dans une telle situation selon les châféïtes. Ainsi :

  1. a) parfois, les deux rituels seront considérés comme étant accomplis. C’est le cas par exemple lorsqu’un personne débute une salât dans l’intention de faire la prière obligatoire et la prière de salutation à la mosquée.
  2. b) d’autres fois, c’est l’acte rituel obligatoire uniquement qui sera considéré accompli. C’est le cas par exemple lorsqu’une personne initie le grand pèlerinage avec l’intention d’accomplir un hadj fardh et un hadj nafl.
  3. c) d’autres fois encore, c’est l’acte rituel non obligatoire seulement qui sera considéré accompli. C’est le cas par exemple lorsque quelqu’un donne une somme d’argent en aumône en faisant l’intention de s’acquitter de la zakâte obligatoire et de faire une sadaqah volontaire et non imposée.
  4. d) d’autres fois encore, aucun des deux rituels ne sera considéré accompli. C’est le cas par exemple lorsque quelqu’un se joint à la prière en groupe alors que l’imâm se trouve dans le roukoû’ et qu’il ne prononce qu’un takbîr (formule exprimant la grandeur d’Allah) mais avec une double intention : initier sa salât (takbîrat al ihrâm) et se diriger vers le roukoû’.

Qu’en est-il du cas précis que vous évoquez dans votre question ? Pour les châféïtes, celui-ci relève de la règle énoncée en a) plus haut, comme l’indique ces écrits de Sheikh Zakarya al Ansâri (rahimahoullâh) :

« Et celui qui jeûne -durant le mois de Chawwâl- en guise de remplacement pour (des siyâm manqués au cours du) Ramadhân ou autre, ou pour s’acquitter d’un vœu, ou encore garde n’importe quel autre jeûne nafl, il obtiendra la récompense (d’avoir accompli les) six jeûnes du mois de Chawwâl. En effet, le mérite de cet acte repose sur le fait que ces siyâm soient accomplis durant le mois de Chawwâl, et ce, même s’il ne le sait pas ou s’il les accomplit de la part de quelqu’un d’autre (…) ; néanmoins, il n’obtiendra leur récompense complète que s’il les accomplit de façon distincte et avec une intention spécifique, plus particulièrement s’il a manqué (des jeûnes de) Ramadhân (…), étant donné qu’il n’entrera pas dans le cadre de ce qui a énoncé dans le Hadith, à savoir jeûner le mois de Ramadhân puis le faire suive de six jours de Chawwâl. « 

(Références : Hâchiyat Ach Charqâwi ‘alâ Char’h at Tahrîr v.2, p. 474, Al Mawsoûat al Fiqhiya, v. 42, p. 90 et suivantes, Al Achbâh wa an Nadhâïr li ibn Noudjaïm, p. 40 à 42, Al Bahr al Râïq, v. 1, p. 96, Al Achbâh wa an Nadhâïr li as Souyoûti, p. 20 à 23)

Wa Allâhou A’lam !


[1] L’avis exposé dans l’énoncé est celui qui semble faire autorité chez les hanafites; l’Imâm Mouhammad (rahimahoullâh) a, lui, une position différente sur le sujet. Il est à noter aussi que des règles particulières ont été énoncées dans le cas où les deux actes sont des prières obligatoires.