La femme mariée et la gestion de ses biens personnels…

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Question : « Il n’est pas permis à une femme d’offrir un présent sans l’autorisation de son époux. »

Voilà ce que dit un Hadith rapporté par Abou Dâoûd et qui est considéré comme étant « fiable » au niveau de l’authenticité par Cheikh Albâni r.a.

Puis-je avoir des précisions concernant le sens de ce Hadith ? J’ai entendu dire que des savants étaient d’avis, en raison de ce Hadith, qu’il n’était pas permis à la femme de disposer de ses biens personnels comme elle le désire… Est-ce que cela est vrai ?

Réponse : Selon la majorité des savants musulmans (parmi lesquels Soufyân Ath Thawri r.a., Abou Hanîfah r.a., Ach Châféi r.a., Ahmad Ibn Hambal r.a., Abou Thawr r.a et Ibn Moundhir r.a.), la femme et l’homme disposent de droits identiques par rapport à la gestion de leurs biens personnels. (Réf : « Al Mouhallâ » de Ibn Hazm r.a. – Volume 1 / Page 309, « Al Moughniy » – Volume 4 / Page 513, « Nayl oul Awtâr » – Volume 6 / Page 22)

Ainsi, à partir du moment où une femme a atteint l’âge de la puberté et qu’elle est saine d’esprit, elle peut réaliser toutes les opérations (licites) qu’elle désire avec ses biens propres, qu’elle soit mariée ou non ; elle peut donc même faire aumône ou offrir une partie (ou l’intégralité) de ce qu’elle possède, sans avoir besoin d’obtenir la permission de son époux ou de qui que ce soit d’autre.

L’Imâm Boukhâri r.a. a donné le titre suivant à un chapitre de son ouvrage de Hadiths authentiques :

« Le don de la femme à autre que son époux et l’affranchissement qu’elle réalise, tout en étant mariée. Cela est permis, si elle saine d’esprit (« lam takoun safîhah »). Si elle ne l’est pas, cela ne sera pas permis. (…) »

En commentant ce titre, Ibn Hadjar r.a. écrit : « C’est là l’avis de la majorité des savants. »

Cet avis majoritaire s’oppose à un certain nombre d’autres avis (Réf : « Fath oul Bâriy » – Volume 5 / Page 218) :

  • Ainsi, l’Imâm Tâoûs r.a. (qui compte parmi les Tâbéines r.a.) penche vers l’interdiction totale pour la femme d’offrir quoique ce soit de ses biens personnels sans la permission de son époux.

  • Al Layth Ibn Sa’ad r.a. pense que la femme ne peut offrir de ses biens que quelque chose de futile et de dérisoire (« ach chay out tâfih ») sans la permission de son époux.

  • Selon un avis attribué à l’Imâm Mâlik r.a., la femme ne peut offrir ou faire aumône, sans la permission de son époux, qu’à hauteur du tiers de ses biens personnels.

  • Parmi les savants contemporains, Cheikh Albâni r.a. a un avis qui se rapproche des trois sus-cités. Il écrit : « (…) Il n’est pas permis à la femme de disposer de ses biens personnels sans la permission de son époux. Et cela entre dans le cadre de la « qiwâmah » (« autorité », « responsabilité ») que Notre Seigneur à accordé à ce dernier par rapport à celle-ci. Mais il ne convient pas à l’époux -s’il est un musulman sincère et véridique- qu’il tire profit (injustement) de cette règle et se montre tyrannique à l’égard de sa femme en l’empêchant d’user de ses biens pour des choses qui ne soient préjudiciables à aucun d’entre eux. (…) » (Silsilah Al Ahâdîth As Sahîhah – Volume 2 / Page 406)

Pour vous permettre d’y voir un peu plus clair par rapport à cette divergence, je vais, dans les lignes suivantes, apporter quelques précisions concernant l’argumentation des deux groupes de savants. Ensuite, Incha Allah, je présenterai une synthèse de l’analyse faite sur cette question par Dr Abdoul Karîm Zaydân et Cheikh Al Mounadjid.

Arguments soutenant l’avis de la majorité des savants :

1- Djâbir (radhia Allâhou anhou) raconte : Le jour de (Ide oul) Fitr, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) se mit debout et accomplit la prière. Il commença par la prière, puis il a prononça le sermon. Lorsqu’il eut terminé, il descendit et alla auprès des femmes, puis leur énonça des rappels(« dhakkarahounna ») en s’appuyant sur le bras de Bilâl (radhia Allâhou anhou). Ce dernier avait étendu un vêtement dans lequel les femmes déposaient des aumônes. Je dis (c’est un des narrateurs qui parle) à Atâ : « S’agissait-il de l’aumône de la rupture du jeûne ? (Zakât oul Fitr) ». « Non, répondit-il. Il s’agissait d’aumônes qu’elles firent à ce moment (…) ». (Boukhâri)

Ibn Hadjar r.a., commentant ce Hadith, écrit : « On a déduit à partir de ce Hadith la permission pour la femme de donner de ses biens en aumône sans avoir à dépendre de la permission de l’époux ou sans que ce don soit limité à une quantité déterminée de ses biens, comme le tiers, contrairement à ce que soutiennent certains mâlékites. Cette déduction repose sur le fait que, dans le Hadith, il n’y a aucune demande de détails (de la part du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam)) par rapport à tout cela… » (« Fath oul Bâriy » – Volume 2 / Page 468)

Dr Abdoul Karîm Zaydân explicite cela en écrivant que, dans ce Hadith, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) n’a pas questionné les femmes qui avaient fait aumône de leurs biens si elles avaient l’autorisation de leur époux, ni leur a pas demandé si ce qu’elles avaient donné se trouvaient dans la limite du tiers de ce qu’elles possédaient ou non…

2- Asmâ, la fille de Abou Bakr (radhia Allâhou anhoumâ, rapporte qu’elle a questionné le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) en ces termes : « Ô Messager de Dieu ! Je n’ai en ma possession que les biens que m’apporte Zoubeïr (radhia Allâhou anhou) (son époux). Puis-je en donner en aumône ? » Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) lui répondit : « Donne en aumône et ne renferme pas (ce que tu possèdes) dans un récipient (en faisant ainsi preuve d’avarice), sinon on fera de même avec toi. » (Boukhâri)

Al Aïni r.a., l’illustre savant hanafite, écrit par rapport à ce Hadith que l’ordre que donne le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) à Asmâ (radhia Allâhou anha) constitue une preuve que la femme peut faire aumône de ses biens sans la permission de son époux. En effet, ce que Zoubaïr (radhia Allâhou anhou) apporte à Asmâ (radhia Allâhou anha) désigne les biens qu’il lui a offert et qui sont donc devenus la propriété de celle-ci. Par rapport à ces biens, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) lui conseille de donner, sans pour autant lui ordonner de demander la permission de son mari. (« ‘Oumdat oul Qâri » – Volume 13 / Page 151)

3- Kouraïb raconte que Maymoûnah (radhia Allâhou anhou) (l’épouse du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam)) lui a raconté qu’elle avait affranchi une esclave qu’elle possédait sans demander au Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) la permission de le faire. Lorsqu’arriva le jour où le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) venait chez elle, elle dit : « T’es-tu rendu compte, Ô Messager d’Allah, que j’ai affranchi mon esclave ? » Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) lui dit : « Vraiment ? » Elle acquiesça. Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) lui dit alors : « Si tu l’avais donné à un des tes oncles, cela aurait été plus méritoire pour toi. »

Dans ce Hadith, il est explicitement mentionné que Maymoûna (radhia Allâhou anha) avait affranchi une de ses esclaves sans avertir le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam)… Si ce geste de sa part avait été interdit, le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) le lui aurait dit.(Voir à ce sujet les commentaires de Ibn Hadjar r.a., « Fath oul Bâriy » – Volume 5 / Page 217)

Arguments soutenant l’avis minoritaire :

1- Le premier argument sur lequel s’appuient les savants interdisant (ou limitant) la gestion par la femme de ses biens sans la permission de son époux est le Hadith de Abou Dâoûd que vous avez cité et qui stipule : « Il n’est pas permis à une femme d’offrir un présent sans l’autorisation de son époux. »Dans d’autres versions de ce Hadith, on trouve les mots suivants : « Il n’appartient pas à la femme de dépenser (« intahaka ») quoique ce soit de ses biens sans la permission de son mari. »

2- Le second argument est un Hadith de Abou Dâoûd également, dont le sens est assez proche du précédent et qui dit en ce sens : « Il n’est pas permis à la femme de faire un don de ses biens à partir du moment où elle s’est mariée. » (Pour les détails concernant l’authenticité de ces Hadiths, voir « Silsilah Al Ahâdîth As Sahîhah » – Volume 2 / Page 405-406, 472-473)

A noter que pas tous les savants ont donné la même portée à ces différents Hadiths. En effet, comme détaillé précédemment, tandis que certains (comme Tâoûs r.a. et, apparemment, Cheikh Albâni r.a.) en ont déduit une interdiction totale, d’autres (comme Al Layth Ibn Sa’d r.a.) ont admis des exceptions très limitées, et d’autres encore (comme certains savants mâlékites) ont énoncé des exceptions plus importantes. Pour ce qui est des mâlékites justement, l’avis qu’il ont adopté semble représenter un moyen de conciliation entre les deux types de Hadiths évoqués (par rapport à la gestion des biens par la femme), et qui semblent, en apparence, contradictoires… Pour cela donc, ils ont fixé une valeur limite et déterminé pour la portée de chaque type de Hadith (ceux interdisant à la femme de faire un don sans la permission de l’époux, et ceux lui autorisant de le faire) un cadre bien défini, situé (respectivement) en dessus et en deçà de ladite limite (en l’occurrence le tiers des biens que la femme possède, et ce, par analogie à la limite maximale autorisée pour le legs (« wasiyah ») sans l’accord des héritiers…)

Analyse des arguments et conclusion :

Dr Abdoul Karîm Zaydân, en analysant les différents arguments cités, souligne les deux points suivants :

– Les Hadiths qui servent d’arguments au premier groupe de savants sont plus authentiques que ceux utilisés par le second groupe de savants.

– L’Imâm Châféi r.a. a dit, au sujet du second Hadith de Abou Dâoûd interdisant à la femme de faire don de ses biens sans la permission de l’époux : « Ce Hadith, nous l’avons entendu, mais il n’est pas authentique (laysa bithâbit) – auquel cas nous serions tenu de l’accepter – et le Qour’aane donne des indications qui le contredit. » (Concernant le verset du Qour’aane auquel l’Imâm Châféi r.a. se réfère, certains disent qu’il s’agit du passage suivant : « (…) alors ils ne commettent aucun péché si la femme se rachète avec quelque bien.(…) » (Sourate 2 / Verset 229) et du passage suivant : « Et à vous la moitié de ce que laissent vos épouses, si elles n’ont pas d’enfants. Si elles ont un enfant, alors à vous le quart de ce qu’elles laissent, après exécution du testament qu’elles auraient fait ou paiement d’une dette (…) » (Sourate 4 / Verset 12). Ces versets témoignent de la validité des transactions de la femme sans la permission de son époux.)

Par ailleurs, il est tout à fait possible de donner aux Hadiths (présentés par le deuxième groupe de savants) une interprétation qui n’aille pas à l’encontre des autres Hadiths authentiques cités… C’est ce que fait ressortir l’Imâm Khattabi r.a. lorsqu’il écrit : « D’après la majorité des juristes, la demande de permission préalable qui est enseignée à la femme dans le Hadith est à prendre dans le sens du bon comportement envers l’époux et un moyen de lui faire plaisir (ndt : et non pas comme une obligation) (…) Et il est également possible que ce Hadith concerne la femme qui n’a pas toute sa raison. » (« Awn oul Ma’boûd » – Volume 2 / Page 463)

C’est pourquoi, sur cette question, la conclusion à laquelle parvient Dr Zaydân semble bien être la plus judicieuse :

Ainsi, selon lui, l’avis de la majorité des savants est le plus correct, et il est donc permis à la femme de faire don ou aumône de ses biens sans l’accord ou la permission de son époux. En effet, en matière d’opérations financières, elle jouit d’aptitudes et de compétences « complètes », comparables à celles de l’homme. Et son mariage ne diminue ni ne restreint en rien ses aptitudes et compétences (dans le domaine financier). Malgré tout, Dr Zaydân considère qu’il est préférable que l’épouse se concerte avec son mari lorsqu’elle désire faire don ou aumône de ses biens. Une telle attitude de sa part ne peut en effet que faire évoluer l’harmonie et la bonne entente au sein du couple. Et nul doute que l’Islam encourage et recommande tout ce qui peut contribuer à l’amélioration des relations entre époux.

Cette conclusion est d’ailleurs très proche de celle à laquelle est parvenue Cheikh Mounadjid. Voici quelques passages extraits d’un de ses articles traitant de la question :

(…) La femme a le droit de dépenser de son (propre) argent en toutes circonstances, que ce soit lors d’une transaction (des dépenses (achats), location etc…) ou autre (cadeaux, charité…) et ce, qu’il s’agisse d’une partie de ses biens ou de la totalité.

(…) C’est (là) l’opinion la plus soutenue, et celle qui est plus en accord avec le Qour’âne, la Sounnah et qui est également la plus sensée.

Dans un verset du Coran, Allah dit en ce sens :

Et donnez aux épouses leur mahr [dot], de bonne grâce. Si de bon gré elles vous en abandonnent quelque chose, disposez-en alors à votre aise et de bon cœur.
(Sourate 4/ Verset 4)

Allah permet à l’homme d’accepter ce que lui offre sa femme de plein gré.

Allah dit également en ce sens :

« Et si vous divorcez d’avec elles sans les avoir touchées, mais après fixation de leur mahr, versez-leur alors la moitié de ce que vous avez fixé, à moins qu’elles ne s’en désistent, ou que ne se désiste celui entre les mains de qui est la conclusion du mariage. Le désistement est plus proche de la piété. Et n’oubliez pas votre faveur mutuelle. Car Allah voit parfaitement ce que vous faites. »
(Sourate 2/ Verset 237)

Ici, Allah permet aux femmes de pardonner au mari le mahr (douaire) selon la quantité souhaitée si leurs maris les divorces, et sans qu’elles aient à demander la permission à qui que ce soit.

Ceci indique que la femme a le droit de prendre la décision (qu’elle désire) en ce qui concerne son argent, et qu’elle a plein droit sur ses biens de la même façon que l’homme a plein droit sur les siens. (Sharh al-Ma’aani al-Athaar, 4/352)

(…)

Donc il est conseillé à la femme musulmane de rechercher l’autorisation de son mari – mais ce n’est pas une obligation pour elle de le faire – et elle sera [Incha’Allah] récompensée pour cela.

Abou Horayra (radhia Allâhou anhou) dit :

Il fut demandé au Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) : « Quelle est la meilleure des femme ? » Il répondit (en ce sens) : « Celle qui rend (son mari) heureux lorsqu’il la regarde, celle qui satisfait son mari lorsqu’il lui demande de faire quelque chose, et qui ne s’oppose pas à lui d’une manière qui le déplaît en ce qui concerne elle même ou ses biens. »
(Rapporté par al-Nasaa’i et cité dans Saheeh al-Jaami’, 3292)

Wa Allâhou A’lam !

Et Dieu est Plus Savant !