Toucher le texte coranique durant ses menstrues : est-ce licite ?

Question : Une femme qui a ses menstrues peut-elle toucher un exemplaire écrit du Qour’aane ? Et lui est-il possible de toucher le texte coranique qui apparaît sur l’écran de son téléphone portable ?

 

Réponse : Dans une lettre que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) avait fait rédiger pour le Compagnon ‘Amr ibn Hazm (radhia Allâhou anhou) lorsqu’il l’avait envoyé vers le Yémen, il était énoncé, entre autres, ceci :

 

لا يمس القرآن إلا طاهر

« Ne touche le Qour’aane que celui qui est pur. »

 (Al Mouwatta de l’Imâm Mâlik, Al Mou’djam al Kabîr d’at Tabrâniy, Sounan Dâr Qoutniy, entre autres) [1]

Le haydh (menstrues)/nifâs (lochies) entraînant un état d’impureté rituelle, il n’est donc pas permis à la femme qui a ses règles/lochies de toucher le moushaf (exemplaire écrit de l’intégralité du Qour’aane) –sauf en cas de force majeure, quand il s’agit par exemple de mettre le texte coranique à l’abri face à un risque de destruction : c’est là l’avis de la très grande majorité des experts en droit musulman des premiers siècles (dont l’imâm Abou Hanifah (rahimahoullâh), l’imâm Mâlik (rahimahoullâh), l’imâm Ach Châfi’ï (rahimahoullâh) et l’imâm Ahmad Ibn Hambal (rahimahoullâh)).

 

Il est à noter cependant que les savants mâlékites admettent une exception concernant celle qui apprend ou qui enseigne le Qour’aane : selon eux, il lui est en effet autorisé de toucher le moushaf (qu’il s’agisse d’un exemplaire compilant l’intégralité des parties composant le Texte Révélé ou seulement une partie) en état de haydh et de nifâs. [2]

 

Et dans l’éventualité où des passages coraniques seraient rédigés/exposés ailleurs que dans un moushaf, sur l’écran d’un smartphone/d’une tablette/d’une liseuse par exemple, il y a divergence entre les savants sur la question de savoir s’il est possible ou non de toucher l’objet en question en état d’impureté rituelle :

 

  • selon l’opinion d’un groupe de savants (hanafites et châfi’ites[3] notamment), il n’est pas permis de toucher directement un tel objet en état d’impureté rituelle, qu’il s’agisse de la partie où le texte du Qour’aane est écrit ou de n’importe quelle autre partie.

 

  • et selon l’avis d’un autre groupe de oulémas (hanafites également ; et c’est aussi l’opinion privilégiée par des savants hambalites contemporains concernant le texte coranique présent sur des supports numériques)[4], il n’est pas permis à celle qui a ses menstrues/lochies de toucher directement les passages du Texte Sacré. Par contre, il lui est permis de toucher les autres parties de l’objet où aucun verset coranique n’est pas inscrit/n’apparaît pas. [5] Le principe d’une différence de statut entre le toucher du moushaf et celui des autres éléments contenant un ou plusieurs versets coraniques a été établi par la prise en considération et le rapprochement de l’énoncé de deux Ahâdîth authentiques :

a/ le premier est celui rapporté par Amr ibnou Hazm (radhia Allâhou anhou) et cité précédemment, en l’occurrence : « Ne touche le Qour’aane que le pur. » Selon ces oulémas, cette interdiction se limiterait au moushaf.

b/ le second est celui de Ibnou Abbas (radhia Allâhou anhou) qui relate que, dans la lettre d’invitation à l’Islam que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) adressa à Héraclius (qui était alors chrétien), il y cita un passage coranique. (Boukhâri et Mouslim)

Ibnou Hadjar (rahimahoullâh), après avoir cité ce Hadith dans un de ses ouvrages, écrit en substance que « son contenu indique que si le texte coranique se trouve dans un livre ou une lettre, au milieu d’autres écrits, la pureté rituelle n’est pas nécessaire pour pouvoir toucher l’objet concerné. »[6]

 

Wa Allâhou A’lam !


[1] Il y a principalement deux réserves qui sont émises par rapport à ce Hadith (enseignement prophétique) :

 

  • Sa chaîne de transmission poserait problème

 

  • Au cas où le Hadith serait fiable, le terme tâhir qui y est mentionné désigne le musulman (qui est « pur » par ses croyances) et non pas la personne qui est en état de pureté rituelle après avoir fait le woudhoû (ablutions) ou le ghousl (bain).

 

Par rapport à ces objections, voici ce qui peut être souligné :

Concernant l’authenticité de cette Tradition

S’il est exact que les spécialistes de la science des Ahâdîth ont émis des critiques sur les différentes chaînes de transmissions par l’intermédiaire desquelles cette Tradition a été rapportée, il n’en reste pas moins cependant que celle-ci a pu être utilisée comme argument pour au moins quatre raisons :

1- La multiplicité des voies relatant ce Hadith suffit pour renforcer son authenticité et lui rendre apte à être employé comme dalîl (argument).

2- Le fait que des imâms moudjtahidînes (tels que l’Imâm Ahmad Ibnou Hambal (rahimahoullâh) l’aient utilisé dans leur argumentation constitue une preuve que, pour eux, ce Hadith était suffisamment fiable.

3- Selon Ibnou Abdil Barr (rahimahoullâh), ce Hadith a valeur de tawâtour (c’est à dire de « Hadith Notoire »), en raison de sa large acceptation par les musulmans.

Ya’qoûb Ibnou Soufyân (rahimahoullâh) disait : « Je ne connais pas de lettre qui soit plus authentique que celle-ci. En effet, les Compagnons (radhia Allâhou anhoum) et les Tâbi’înes (rahimahoumoullâh) s’y référaient et délaissaient leur opinion (face à son contenu). »

Et al Hâkim (rahimahoullâh) relate : « az Zouhri (rahimahoullâh) et Oumar Ibnou Abdil Azîz (rahimahoullâh) ont témoigné de l’authenticité de cette lettre. »

Il est évident qu’un tel Hadith présente toutes les aptitudes pour être utilisé comme argument.

4- La pratique rapportée de certains Compagnons (radhia Allâhou anhoum) (dont Ali (radhia Allâhou anhou), Sa’d ibn Abi Waqqâs (radhia Allâhou anhou) et Ibnou Oumar (radhia Allâhou anhou)) est conforme à l’énoncé de ce Hadith.

Concernant son sens

Même si le mot « pur » qui est employé dans le Hadith peut effectivement faire référence aussi bien à l’état de pureté rituelle (avoir ses ablutions par exemple) que l’état de pureté spirituelle (avoir la foi) -auquel cas ce Hadith signifierait qu’une personne, à partir du moment où elle est musulmane, peut toucher le Qour’aane, même si elle est rituellement impure, il n’en reste pas moins que la majorité des savants et experts en droit musulmans l’ont pris dans le premier sens. Ce qui suffit, là encore, pour permettre l’argumentation à partir de ce Hadith.

On pourrait également souligner ici que, souvent, les versets 77 à 79 de la Sourate 56 (« C’est certainement un Coran noble dans un Livre bien gardé que seuls les purifiés (moutah-haroûn) touchent »), sont présentés comme argument pour soutenir l’avis majoritaire sus-cité.

 

Par rapport à cet argumentaire, il convient de préciser que, d’après l’interprétation la plus juste concernant ce passage coranique, il y est question de la « Table Gardée » (al Lawh al Mah’foûdh) que seuls les anges purifiés peuvent toucher.

 

Néanmoins, un certain nombre de savants soutiennent que le terme « purifés » (moutah-haroûn), ici, désigne également, par extension, celui qui est en état de pureté rituelle dans ce monde.

 

Cette approche va dans le sens de ce qui est énoncé dans une Tradition rapportée par Dâr Qoutni (rahimahoullâh) et Al Athram (rahimahoullâh) et qui relate qu’une fois, des Tâbi’înes (rahimahoullâh) étaient en compagnie de Salmân (radhia Allâhou anhou). A un moment, celui-ci s’éloigna pour faire ses besoins. Par la suite, quand il revint, ils voulurent le questionner au sujet de certains versets du Qour’âne. Salmân (radhia Allâhou anhou) leur fit remarquer qu’il ne touchait pas le Qour’âne (tant qu’il n’aurait pas fait ses ablutions). Ensuite, comme pour justifier son refus, il récita le passage dont il est question ici : « Lâ yamassouhou illal moutahharoûn » (« seuls les purifiés touchent »).

 

Cela indique que Salmân (radhia Allâhou anhou) attribuait à ce verset une portée large, au point de ne pas le limiter aux anges et à la Table Gardée, mais de l’appliquer également dans le rapport entre les hommes et le « Moushaf » (exemplaire écrit du Qour’aane). D’ailleurs, Ibnou Taymiyah (rahimahoullâh), dans son « Charh al ‘Oumdah », ne rejette pas complètement le fait que l’on puisse déduire de ce verset l’interdiction pour les personnes se trouvant en état d’impureté rituelle de toucher le Qour’âne. Il souligne ainsi que le Qour’âne dont nous disposons est le même que celui qui se trouve dans la Table Gardée (« al Lawh al Mahfoûdh »). L’endroit où il se trouve ne change donc en rien son contenu. Quand le statut du Livre qui se trouve au Ciel est qu’il ne peut être touché que par les êtres purifiés, cela implique forcément que la même règle s’appliquera pour le Livre qui se trouve sur terre, car tous deux partagent le même caractère sacré.

 

On retrouve chez Ibnou Kathir (rahimahoullâh) une explication similaire sur ce point.

[2] A cet avis largement majoritaire s’oppose celui d’un groupe de savants passés, dont Ibnou Hazm (rahimahoullâh) et contemporains. Selon eux, il est permis de toucher le Qour’aane en état d’impureté rituelle majeure étant donné notamment qu’il n’existe pas de texte authentique, selon eux, qui poserait une telle interdiction.

 

« Hashiyat out Tahtâwi ‘alâ marâquiy al falâh », v. 1 – p. 94, « Al Fiqh al Islâmiy » v.1 – p. 297, « Al Madjmoû’ », v.2 – p.90,  « Al Mawsoûat al Fiqhiyah » (développement sur le terme « moushaf » – Point N°9)

 

جاء في الشرح الكبير فيما لا يمنعه الحدث: (وَ) لَا (لَوْحٍ -أي لا يحرم مس لوح- لِمُعَلِّمٍ وَمُتَعَلِّمٍ) حَالَ التَّعْلِيمِ وَالتَّعَلُّمِ، وَمَا أُلْحِقَ بِهِمَا مِمَّا يُضْطَرُّ إلَيْهِ كَحَمْلِهِ لِبَيْتٍ مَثَلًا فَيَجُوزُ لِلْمَشَقَّةِ (وَإِنْ) كَانَ كُلٌّ مِنْ الْمُعَلِّمِ وَالْمُتَعَلِّمِ (حَائِضًا) لَا جُنُبًا لِقُدْرَتِهِ عَلَى إزَالَةِ مَانِعِهِ بِخِلَافِ الْحَائِضِ.

قال الدسوقي في حاشيته: (قَوْلُهُ: وَمُتَعَلِّمٍ) أَيْ وَإِنْ كَانَ مُتَذَكِّرًا يُرَاجِعُ بِنِيَّةِ الْحِفْظِ. انتهى.

 

[3] رقم الفتوى:1341. سماحة المفتي العام الدكتور نوح علي سلمان رحمه الله.

السؤال: ما حكم حفظ القرآن في وقت الحيض علماً أنني لا أقرأ من القرآن مباشرة بل من ورق أو من التلفون
الجواب:
لا يجوز حفظ القرآن في وقت الحيض لأن الحفظ يحتاج إلى ترديد وورق المصحف لا تمسه الحائض وكذلك الهاتف إذا ظهر على شاشته الآيات صار كالمصحف والله تعالى أعلم

[4] « Béhishti Zewar » 2ème partie- p. 63, « Djadîd fiqhi masâïl » de Sheikh Khâlid Sayfoullâh – v. 1- p. 35, « Al Mouhadh-dhab » v. 1 – p. 32

 

[5] « Al Bahr our Râïq », « Raddoul Mouhtâr », « As Sirâdj oul Wahhâdj » et « Al Fiqh oul Hanafiy fî thawbihil djadîd »

 

[6] « I’lâ ous Sounan » v. 1 – p. 400 et 401, où est présente une citation extraite de « Al Tarkhîs oul Habîr »