La femme peut-elle diriger la prière pour des hommes ?
Question : J’ai entendu dire que certains savants considéraient qu’il était permis à une femme de diriger la prière pour un groupe d’homme. Est-ce exact ? Si oui, quel est l’argument sur lequel repose cet avis ?
Réponse : Concernant la question de la permission ou non pour la femme de diriger la prière pour un (ou des) homme (s), voici les avis des Imâms Moudjtahidines (experts et spécialistes) :
– La grande majorité des savants 1 sont d’avis que cela n’est en aucun cas permis.
– Quelques savants 2 ont exprimé l’avis que la femme pouvait diriger la prière (« imâmah ») pour un homme ; cependant, il ressort de certaines références juridiques que cette permission était quand même conditionnée…
Ainsi, voici textuellement ce qui est mentionné dans « Houlyat oul Oulama » (Volume 2 / Page 170) :
« On relate au sujet de Abou Thawr et Ibné Djarîr At Tabari (qu’ils sont d’avis) qu’il est permis à la femme de diriger la prière de Tarâwih lorsqu’il n’y a pas d’autre « Qâri » (parmi les hommes) à part elle. Et elle se mettra debout à l’arrière de la rangée des hommes. »
A cela, il convient d’ajouter qu’à la lecture des écrits de Al Mardâway r.a. (illustre savant hambalite) traitant de la question dans son ouvrage « Al Insâf« , il semblerait que certains juristes hambalites aient également autorisé l’imâmah des hommes par la femme pour la prière du Tarâwîh, dans le cas où il n’y aurait personne parmi les hommes qui seraient en mesure de réciter le Qour’aane. Ils précisent néanmoins que la femme se mettra debout derrière les hommes. (Réf : « Al Insâf » – Volume 2 / Page 263)
Cette divergence découle principalement du fait que l’on a, au sujet de l’imâmah de la femme pour la prière en groupe où sont présents des hommes deux Hadiths importants qui donnent des indications en apparence contradictoires :
Il y a d’un côté le Hadith qui relate que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) avait autorisé à Oummé Waraqah (radhia Allâhou anha) de diriger la prière pour les gens de sa maison (« Ahl dâriha »). Dans une version de ce Hadith, l’un des narrateurs affirme avoir vu que celui qui lançait l’appel à la prière pour elle était un vieil homme. Des commentateurs du Hadith indiquent que ce dernier faisait apparemment partie également de la congrégation. (Réf : « Souboulous Salâm » – Volume 2 / Page 29) (Sur ce point précis, je soulignerai juste que, dans le Hadith, il n’est pas mentionné de façon explicite que le vieil homme accomplissait la prière derrière elle ; il semble bien qu’on suppose qu’il l’ait fait, vu qu’il était présent…). C’est sur cette Tradition que repose l’avis permettant l’imâmah de la femme pour les hommes
Face à ce Hadith, il y en a un autre de Djâbir (radhia Allâhou anhou) qui affirme clairement : « Qu’une femme ne dirige pas la prière pour un homme. » Ce Hadith est rapporté par Ibné Mâdjah. Il est cependant considéré comme étant « Dhaïf ».
C’est donc au niveau de la conciliation des Hadiths qu’il y a eu des approches différentes :
Ainsi, la majorité des savants ont pris en considération le Hadith de Djâbir (radhia Allâhou anhou) qui est une interdiction claire avec une portée non restreinte pour en retirer la règle générale d’interdiction de la « imâmah de la femme pour l’homme ». Pour ce qui est du Hadith de Oummé Waraqah (radhia Allâhou anha),
il semblerait qu’il ait été considéré comme témoignant d’une permission spécifique du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam), et ne pouvant donc faire l’objet d’une généralisation (dans le cas où on considère bien entendu que le vieil homme qui lançait l’appel à la Salâh – l’Adhân – priait également derrière elle, ce qui reste à prouver, « Wa Allâhou A’lam »…)
D’ailleurs, quand on considère l’avis des savants qui autorisent à la femme de diriger la prière pour les hommes, on se rend compte qu’ils n’ont pas, eux non plus, pris le récit de Oummé Waraqah (radhia Allâhou anha) dans sa portée absolue, c’est à dire exprimant une permission générale et sans conditions : En témoigne le fait qu’ils aient limité cette permission à la prière du « Tarâwîh » (comme cela a été évoqué plus haut avec la référence de « Houlyat oul Oulamâ » ; ce fait est également confirmé par Ach Chawkâni dans son « Nayl oul Awtâr ») et posé comme condition qu’elle se mette debout à l’arrière, et ce, afin de respecter l’esprit d’un autre Hadith où le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) indique que la meilleure rangée dans la prière pour la femme est celle qui est la plus éloignée des hommes, à l’arrière. (Mouslim) 3
Reste maintenant la question de la faible authenticité du Hadith de Djâbir (radhia Allâhou anhou). A ce sujet, il y a déjà un fait qu’il faut prendre en considération : Il est fort possible que les premiers juristes (parmi les Tâbéines déjà ) qui ont eu accès à ce Hadith l’aient eu par une voie tout à fait fiable et authentique, vu le faible de nombre de transmetteurs qui les séparaient alors du Compagnon (radhia Allâhou anhou) l’ayant transmis. C’est la raison pour laquelle ils ont pu y développer leur argumentation. Maintenant, qu’un narrateur non fiable et critiqué ait transmis ce Hadith après eux n’invalide pas pour autant leur avis.
Ensuite, même si on considère que ce Hadith est « Dhaïf » (faible), il y a un principe accepté par les spécialistes de la science des Hadiths qui préconise qu’un tel Hadith, s’il est confirmé par la pratique des Compagnons (radhia Allâhou anhoum) et des Tâbéines r.a., il devient acceptable et valide (deux exemples au moins de ce genre de Hadiths sont évoqués par l’Imâm Tirmidhi r.a. dans son ouvrage de Hadiths, parmi lesquels « Lâ Wassiyata liwârithin » (Pas de legs en faveur d’un héritier), qui, malgré le fait qu’il est considéré « Dhaïf », a toujours été confirmé par la pratique des Compagnons (radhia Allâhou anhoum) et des Tâbéines r.a. et fait donc force de loi.). Et c’est le cas, je pense, pour le présent Hadith de Djâbir (radhia Allâhou anhou) : En effet, on ne trouve aucun exemple de cas parmi les premières générations (excepté celui de Oummé Waraqah (radhia Allâhou anha), qui n’est cependant pas explicite comme souligné plus haut…) où une femme aurait dirigé une congrégation d’hommes ; au contraire, comme le rapporte Al Bayhaqi r.a., les sept grands juristes de Médine parmi les Tâbéines (« Fouqahâ Sab’ah ») étaient unanimes sur l’interdiction de la imâmah de la femme pour l’homme…
Wa Allâhou A’lam !
Et Dieu est Plus Savant !
Notes :
1- Parmi lesquels on peut citer les « Fouqaha Sab’ah » (« sept juristes ») de Médine, mais aussi les autres Tâbéines r.a. (comme cela est rapporté de Al Bayhaqui r.a. – Réf : « Al Moubdi' » – Volume 2 / Page 72 et « Al Madjmou' » – Volume 4 / Page 223) et également Abou Hanîfah r.a., Mâlik r.a., Ach Châféi r.a., Ibné Hambal r.a.)
2- Les noms qui sont cités sont Abou Thawr r.a., At Tabari r.a. et également Al Mouzani r.a. (qui compte parmi les châféites)
3- Cette séparation vise à éloigner tout risque de déconcentration de part et d’autre que pourrait provoquer la présence de femmes aux côtés des hommes au cours de la prière. En effet, la plus grande attention est requise à ce moment privilégié où un dialogue direct s’établit avec Allah, aussi bien de la part du croyant que de la croyante.